Phases du processus : 1b (questionner) et 2c (planifier concrètement l’action)
Objectif
Accompagner les membres d’un groupe dans un processus de déculpabilisation face à la situation-problème grâce au développement d’une pensée critique sur leur expérience de vie.
Autrement dit, accompagner la prise de conscience des causes structurelles ( socio-politiques ) d’une situation-problème qui est perçue dans un groupe comme étant la responsabilité des individus.
Durée : 1 à 4 ateliers (cela dépend notamment de l’animation des variantes ou non)
Matériel
Petits cartons et crayons ou feutres
Grand tableau et craies ou marqueurs
Gommette
Suggestion d’activités préalables
1-Demandez simplement aux membres du groupe pourquoi ils vivent leur situation-problème. Parfois, un deuxième « pourquoi » est nécessaire. Par exemple, si quelqu’un répond « j’étais pas capable de comprendre », vous pouvez lui demander ce qui a pu faire qu’il n’était « pas capable », selon lui. Notez les réponses exprimées.
2a-En remplacement de la première activité ci-dessus ou ajoutée à elle, proposez aux participant·e·s de former des équipes de trois. Chaque membre du sous-groupe se transforme en journaliste pour quelques minutes et doit questionner un autre membre sur une anecdote ou une histoire vécue liée au sujet traité. Selon le sujet, ça peut être une histoire liée à l’enfance ou aux premières expériences de la situation-problème. Chaque participant·e sera tour à tour interviewant·e et interviewé·e. L’idée ici est de faire ressortir les expériences ( habituellement souffrantes ) liées à l’enjeu dont il est question. Par exemple : « Moi ma mère était souvent malade pis il fallait que je m’en occupe à la maison. Je manquais souvent l’école pour ça. J’avais de la misère pis il y avait personne pour m’aider. »
2b-De retour en grand groupe, procédez à une mise en commun des éléments abordés pendant l’activité ( une personne relate ce qu’un autre membre du trio a dit ). Questionnez le groupe sur ses réactions face à l’expérience vécue.
Notre exemple
Un groupe d’une vingtaine de personnes en processus d’alphabétisation travaille sur l’analphabétisme et son traitement dans la société. Ses membres identifient leur paresse et leur « tête dure » comme causes de leurs difficultés en lecture et écriture.
Déroulement
Étape 1
Demandez aux participant·e·s de noter sur un carton les raisons / causes précises et concrètes qui peuvent expliquer leur situation individuelle. Si vous avez fait l’activité précédente, les participant·e·s se serviront des causes déjà identifiées et ajouteront toutes celles auxquelles ils et elles penseront.
Étape 2
Demandez au groupe de regrouper en catégories les raisons qu’il aura inscrites. Pour ce faire, suivez les étapes suivantes :
-
- Demandez à des participant·e·s ( un·e à la fois ) de présenter une cause à la fois et de la coller au tableau.
- Demandez si certain·e·s ont des causes semblables à celles déjà notées, et invitez les à coller ces causes près des semblables.
- Demandez au groupe de réagir et de participer à la classification.
- N’hésitez pas à faire déplacer les cartons.
Gilles est le troisième à coller au tableau la cause qu’il a identifiée concernant
ses difficultés de lecture et d’écriture
Étape 3
Faites nommer chaque catégorie. Négociez un terme qui inclut tous les items du regroupement.
Identifiez ensuite ensemble un symbole ou un mot pour représenter la catégorie.
Les causes sont regroupées en trois catégories : l’école, la famille et la pauvreté.
Étape 4
Animez une discussion sur les différentes catégories : lesquelles contiennent le plus de cartons, qu’est-ce que cela signifie, qu’est-ce que ça apprend sur le groupe, etc. Demandez quelles réactions suscite le fait que ce sont les mêmes catégories de causes chez plusieurs personnes.
Étape 5
Prenez une photo du tableau ou notez-en le contenu et retournez en planification.
Demandez-vous :
1- si vous considérez qu’une ou des causes demanderaient d’être affinées ou précisées ( si une catégorie vous semble trop générale ou contenir des éléments qui sont trop différents les uns des autres ), et
2- si certaines causes pourraient prendre plus importance dans la conscience des gens.
Si vous considérez qu’une ou des catégories pourraient être approfondies ou précisées :
Étape 6
Lors d’un deuxième atelier, proposez au groupe de sous-catégoriser les catégories trop vastes, qui contiennent des éléments à teneur très différente. Cela est un prétexte pour comprendre davantage le problème et nuancer sa pensée. Vous pouvez proposer des catégories ou les faire identifier par le groupe. Vous pouvez séparer le groupe en autant de sous-groupes qu’il y a de catégories à préciser, et ensuite demander au sous-groupe de présenter le résultat de sa réflexion au reste du grand groupe pour validation et discussion.
Rendez visible la nouvelle catégorisation et recueillez les réactions.
La catégorie famille est sous-divisée en trois catégories : Parents empêchent d’étudier,
Soin de la famille, Parents ne savent pas lire ( pas encore placée au tableau ).
La catégorie École est divisée en trois sous-catégories : Maltraitance, Manque de soutien
et École spéciale ( pas encore placée au tableau ).
Si vous sentez qu’une cause pourrait avoir plus d’importance dans la conscience des gens :
Étape 7
Lors d’un deuxième atelier, demandez à chaque personne de déterminer quel lien il y a entre chacune des causes qu’elle a identifiées et la catégorie que vous avez identifiée comme pouvant avoir plus d’importance. Il s’agit de forcer les liens pour rendre plus évidente l’importance de certaines causes plus subtiles. Vous pouvez fonctionner en sous-groupe s’il y a plus d’une catégorie à travailler. Demandez aux membres du groupe de présenter le résultat de leur réflexion à l’ensemble. Pour amorcer cette étape, il peut être nécessaire de poser, préalablement au travail en sous-groupe, quelques questions plus précises à l’ensemble du groupe pour favoriser la prise de conscience. Par exemple : « Si tes parents avaient eu de l’argent, est-ce que tu serais allé·e travailler au lieu d’aller à l’école ? »
Nous avons identifié que les impacts de la pauvreté n’avaient pas autant d’importance dans la conscience des personnes qu’elle nous semblait en avoir dans la réalité. Nous avons donc demandé aux participant·e·s quel lien il y avait entre leurs causes identifiées et la pauvreté. Résultat : ils ont trouvé des liens avec presque chacune des causes ! « Je devais m’occuper de ma mère qui était malade », « j’étais humilié par les autres élèves », « je devais travailler parce que mon père buvait », etc. Par exemple, pour le dernier item, le
participant réalisait que le fait que son père avait des conditions de travail très difficiles, qu’il vivait dans la pauvreté et qu’il avait peu de contrôle sur ses conditions de vie et de travail contribuait à sa consommation d’alcool.
Les participant·e·s ont même déplacé des sous-catégories vers la catégorie Pauvreté,
comme en témoigne l’image ci-dessus.
Évaluation
Dans un atelier subséquent, vous pourriez reposer la question posée au tout début du processus ( sur les causes du problème ), noter les différences et recueillir les réactions face à ces différences.
Commentaires
Créer des catégories permet d’une façon simple de réfléchir et de visualiser les causes d’un
problème qui peut paraître individuel et accabler les personnes qui en souffrent. Cette animation est donc particulièrement pertinente pour une communauté qui vit beaucoup de honte face à une situation qui suscite des préjugés ou le mépris dans la société : pauvreté, aide sociale, analphabétisme, troubles de santé mentale, discrimination sur la base du sexe, etc. Elle force à dépasser les causes individuelles qui sont mises en perspective. Elle amène à déculpabiliser les personnes. Elle permet aux personnes de se sentir davantage légitimes de revendiquer publiquement. Elle amène une capacité d’argumentation qui sera utile pour la suite. La deuxième activité supplémentaire, sur les liens forcés, nous a paru particulièrement efficace.
Plus vous prendrez de temps pour faire ce processus, plus la démarche sera riche et profonde.
Un groupe plus grand amènera une plus grande variété de situations. Les discussions seront plus intéressantes. Surtout, l’impact sera beaucoup plus fort de voir un grand nombre de personnes qui ont vécu les mêmes réalités sans l’avoir soupçonné.
Lorsqu’il y a travail en sous-groupe, si possible, prévoir des animatrices supplémentaires pour
soutenir les sous-groupes.
Il peut y avoir des causes orphelines. Il ne faut pas tenter d’accorder une égale importance à chaque cause nommée ; il faut plutôt s’attarder à ce qui est commun et qui a de l’importance, bref à ce qui sert le processus.
Ces activités ont eu un impact fort et durable sur les personnes participantes. Plus jamais personne n’a dit qu’elle était analphabète parce que plus jeune elle avait la tête dure ou qu’elle était paresseuse, alors que c’était le discours dominant, voire systématique, avant cette expérience.
Conception : Esther Filion et Nathalie Germain
Rédaction : Esther Filion
Inspiration de l’activité préalable 2 : Scop Le Pavé