Un processus de création collective communautaire
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Constatation de départ
Lors du processus de création collective, il est souvent merveilleux de constater l’immense potentiel d’imagination que possèdent les participant·e·s, même s’ils et elles n’ont aucune expérience artistique. La difficulté n’est pas dans l’émergence, mais bien plutôt dans la reconnaissance des pépites, ébauches concentrées de la création. En effet, si on n’identifie pas les pépites, elles s’accumulent ou se perdent. Le travail créatif devient illisible. On oublie trop d’éléments, ce qui peut entraîner d’inutiles frustrations. À l’image de notre société, le principal défi consiste à éviter la surabondance et le gaspillage.
Qu’est-ce qu’une pépite ?
Il n’existe pas de critères objectifs permettant de reconnaître une pépite. Mais une chose est certaine,
la pépite nous fait vibrer et nous réjouit. Elle a la faculté de révéler ce qui se brasse, discrètement ou ouvertement, dans le groupe. La pépite parle à la fois au cœur ( elle est touchante ), au ventre ( elle est profonde ) et à la tête ( elle questionne ). Elle est en lien, direct ou subtil, avec le thème qu’on aura choisi au préalable. Elle peut aussi révéler une problématique qu’on découvre en cours de processus. Elle contient une émotion, un sentiment, une aspiration, une indignation. Elle s’incarne dans un dessin sensible, une idée lumineuse, un mouvement inspirant, un commentaire croustillant, un geste fort, un son attirant. Elle est souvent très petite, il faut en prendre soin.
Exemple
L’exercice du moment consiste à créer une sculpture représentant le travail des participant·e·s, en utilisant un grand rouleau de papier glacé. Lors de la manipulation, une pépite surgit ! Certes les sculptures de papier sont intéressantes et on y reviendra en cours d’atelier, mais quelque chose s’est ajouté, imposé : c’est le bruit sec et constant du papier déchiré, quelque chose qui tenait du sensible et du douloureux.
Rôle de l’artiste
L’artiste accompagnateur·trice doit faire preuve d’un bon leadership, basé sur son expertise en processus artistique. Il ou elle a un rôle clé dans la reconnaissance des pépites produites par les participant·e·s en gardant une certaine distance qui lui permet de percevoir ce qui émerge. C’est son rôle de voir et de nommer.
Les personnes participantes sont concentrées sur leur propre production artistique. Elles font, mais ne voient pas ce qu’elles font. Souvent, elles veulent un résultat tout de suite, elles jugent et sont souvent sévères envers elles-mêmes. L’artiste doit amener les participant·e·s à aiguiser leur regard, à « deviner » ce qui se cache dans la pépite.
Il suffit qu’une personne identifie un élément comme une pépite pour qu’elle le devienne. Il n’y a aucun consensus à avoir. Évidement, il se peut aussi qu’une pépite crée un réel emballement
collectif. Si la reconnaissance de la pépite fait vibrer la majorité des membres du groupe, le moment devient joyeux et exaltant. Ça pétille et ça crée une cohésion dans le groupe.
Pendant l’atelier
Dès qu’on a réussi à créer une atmosphère de confiance dans le groupe, on peut se lancer dans le merveilleux monde de la créativité et ouvrir les valves de l’imagination. Il se peut qu’un exercice ait été judicieusement imaginé par l’artiste et magnifiquement réalisé par les participant·e·s, mais que l’aboutissement, le résultat nous échappe. C’est que la pépite se manifeste presque toujours par hasard. Elle ne s’annonce pas. Elle peut jaillir lors du fameux exercice bien préparé, mais aussi pendant la pause lorsque les participant·e·s échangent librement et spontanément, ou encore à la fin d’une exploration quand une personne, apparemment endormie, finit par réagir. En tant
qu’artiste accompagnateur·trice, il faut être tout le temps aux aguets ; c’est d’ailleurs une des choses qui fait la beauté de ce travail.
Pour que les pépites apparaissent, il ne faut pas préméditer, mais plutôt faire confiance à l’imagination du groupe et à notre sens de l’observation. Pour cela, il est bon de mettre une pause sur le rationnel et l’efficacité. Il ne s’agit pas de trouver une idée géniale et rassembleuse, mais bien de reconnaître les embryons prometteurs.
Une fois récoltées et identifiées, qu’en faisons-nous ?
Voici dix manières de tirer parti des pépites, mais bien sûr il y en a davantage. Toutes les combinaisons sont possibles. Avec quelques pépites, on peut arriver à créer une œuvre collective qui soit à l’image du groupe et dans laquelle chacun·e se reconnaît. Ces multiples combinaisons se font au fur et à mesure par l’artiste, avant, pendant et après l’atelier.
On pourrait dire que dans chaque pépite il y a l’ADN de l’œuvre collective. C’est la raison pour laquelle il ne sert à rien d’en accumuler. Il est mieux d’en retenir quelques-unes et de partir d’elles pour inventer de nouvelles explorations. On reprend ce qui a été fait, on mise sur ce qui existe.
1. Observer à la loupe
On découpe, on concasse, on focalise. On regarde de très proche, de loin, de côté. On étire ou on rétrécit, on écoute à plein volume ou tout doucement. Bref, on varie d’angle et d’intensité.
2. Conjuguer
Quand on a bien observé nos quelques pépites et qu’on en a déchiffré certaines significations
( sans trop se prendre la tête ), on peut alors les associer, les juxtaposer ou les combiner
ensemble. Est-ce que la combinaison crée une nouvelle signification ?
3. Créer des liens
Ensuite, il s’agit de faire des liens entre, par exemple, une image sensible et un mouvement inspirant, en essayant de trouver une relation : lien de cause à effet, lien dans la durée, lien sensoriel, lien logique et cohérant.
4. Ajouter de l’incongru
Quand on arrive à construire quelques ensembles significatifs, il est temps d’ajouter de l’incongru. On ajoute un troisième élément qui n’a rien à voir avec les deux premiers. La combinaison crée un choc, l’imagination est obligée de s’activer.
5. Traduire
On prend les mêmes productions artistiques pour les exprimer dans un autre langage. Par exemple, si quelque chose a été exprimé avec un objet, on peut le traduire avec un son, une phrase, une image ou un mouvement. Changer de langage permet à chacun de s’exprimer
selon ses préférences et habiletés.
6. Diviser et multiplier
Reprendre les mêmes pépites mais les exprimer en solo, à deux, à trois, en groupe. Cela
permet de transformer les productions artistiques tout en créant de nouvelles complicités dans le groupe.
7. Poétiser
À partir des mêmes productions, y ajouter des métaphores et faire des comparaisons. Cela permet de « poétiser » les idées et de s’écarter du réel. Souvent le rôle de l’artiste est d’ouvrir la porte du symbolique.
8. Revenir au concret
Ensuite, actualiser et examiner la similitude entre la production artistique et la réalité vécue par les membres du groupe, individuellement et collectivement. Quels liens y a-t-il avec la thématique choisie ? Quel nouvelle perpective émerge ?
9. Chercher le contraire
Reprendre ensuite les productions mais en cherchant à exprimer le contraire de ce qui vient d’être produit, pour essayer de casser le sens avec lequel tout le monde pourrait être d’accord. Faire jaillir les contrastes et les contradictions.
10. Induire le doute
Si les productions artistiques se formulent en mode affirmatif, les transformer en questionnement. Induire le doute et les subtilités.
Mémoriser
Cette méthode de récolte et de transformation progressive des pépites, nous aide à ne pas nous
disperser. Bien sur il nous faut aussi garder des traces et « exposer » les productions pour que tous·tes, artistes et participant·e·s, prennent part à la mémorisation.
On peut utiliser quelques trucs : photographier, faire des agrandissements et les accrocher à la vue de tous ; conserver les productions, dessins, mots-clés, images dans un endroit spécifique de
l’atelier ; traduire les atmosphères en utilisant des mots ; donner aux participant·e·s intéressé·e·s,
à un·e intervenant·e ou à un·e stagiaire le rôle de récolter.
Mémoriser et exposer ne veut pas dire qu’il faut revenir systématiquement sur tout. Certaines
productions vont simplement flotter. Un certain aller-retour se fera, plus ou moins consciemment. Les éléments importants reviendront d’eux-mêmes.
Choix et montage
Après la récolte, la transformation, la mémorisation, vient le temps du montage. Souvent cette tâche est réalisée par l’artiste. Plusieurs fois au cours du processus de création, l’artiste fait un montage provisoire, le propose au groupe et vérifie si le montage est fidèle à ce qu’il veut exprimer.
Bonne récolte à tous et toutes !
Conception et rédaction : Dominique Malacort
Travail de synthèse et de réécriture issu de la formation sur la création collective en art communautaire animée par D. Malacort en 2019 et issu de sa thèse de doctorat déposée en 2016.