Phase du processus : 1b (questionner)
Objectifs
Cet exercice permet d’examiner les relations sociales sous l’angle du pouvoir et des privilèges. Il crée un contexte qui permet aux participant·e·s :
-
- de témoigner de leurs expériences;
- de les valider;
- de les situer dans un cadre anti-oppression;
- de comprendre comment le pouvoir se manifeste dans la vie de chacun, tout en prenant conscience des différentes formes qu’il peut prendre.
Discipline artistique : Théâtre physique
Durée : Entre 30 et 90 minutes (environ 30 minutes par étape)
Matériel
Dans un espace ouvert, installez six chaises, une table et une bouteille d’eau sur celle-ci.
Déroulement
1 – L’image du pouvoir
Demandez aux participant·e·s de créer un tableau qui représente le pouvoir en utilisant les huit objets. Précisez que l’un des objets doit être présenté comme le plus puissant.
Informez le groupe que cet exercice doit se faire dans le silence, sans parler. À tour de rôle, lorsqu’elle est prête, chaque personne doit créer un tableau.
Lorsqu’un premier tableau a été créé, invitez son auteur·e à s’éloigner et demandez au groupe : « Quel est l’objet le plus puissant dans ce tableau? » Donnez-lui tout le temps qu’il faut pour en discuter.
Répétez ensuite le processus – création individuelle d’un tableau, en silence, suivie d’une discussion de groupe – aussi longtemps qu’un des membres du groupe souhaite créer un nouveau tableau. Chaque tableau doit utiliser les huits objets, et l’un d’eux doit ressortir comme étant le plus puissant.
Une fois que chaque membre du groupe a créé au moins un tableau, et s’il n’y a plus de suggestions, vous pouvez passer à l’étape suivante. Le groupe a créé sa représentation ultime du pouvoir.
2 – Corps dans l’espace
Informez les participant·e·s qu’ils et elles vont maintenant s’intégrer physiquement dans la représentation du pouvoir. Un·e par un·e, en silence et sans parler, chacun va s’insérer dans le tableau, de manière à ce que son corps en deviennent l’objet le plus puissant. Ils doivent le faire sans changer la position des huit objets. Chaque personne qui s’ajoute au tableau doit se rendre plus puissante que la personne précédente.
Une fois qu’environ la moitié des membres du groupe se sont intégrés au tableau, demandez-leur de garder la pose.
Invitez les autres membres à faire le tour du tableau et à l’examiner sous différents angles. Ils sont maintenant les spectateurs du tableau. Posez-leur maintenant la question : « Qui est la personne la plus puissante du tableau? » Un par un, invitez-les à identifier une personne et dire pourquoi ils pensent que celle-ci est la plus puissante. Chacun doit répondre à la question en motivant son choix.
Une fois que tous se sont exprimés, invitez-les à changer de place avec la personne dans le tableau qu’ils ont identifiée comme étant la plus puissante. Cela doit se faire en silence, sans parler, en touchant simplement l’épaule de la personne qu’ils souhaitent remplacer.
Laissez le temps à ceux et celles qui s’intègrent au tableau d’assumer pleinement la pose qu’ils ont prise – position du corps, répartition du poids, respiration. Pendant ce temps, ceux et celles qui en sont sortis peuvent s’étirer, puis circuler autour du nouveau tableau pour l’examiner, toujours en silence.
Comme précédemment, demandez au nouveau groupe spectateur : « Qui est la personne la plus puissante du tableau? » Lorsque chacun·e a donné sa réponse, vous pouvez passer à l’étape suivante.
Attention : Comme ils devront garder la pose pendant longtemps, demandez aux participant·e·s s’ils et elles ont besoin de modifier leur position pour être plus à l’aise. Invitez-les ensuite à s’engager dans le tableau qu’ils et elles ont créé.
Pendant que le groupe spectateur observe le tableau, si vous souhaitez faire avancer la discussion plus rapidement, invitez-le à identifier les opinions avec lesquelles il est d’accord. Par exemple, si quelqu’un désigne une personne comme la plus puissante du tableau, demandez au groupe : « Êtes-vous d’accord? » Si tout le monde est d’accord, poursuivez; sinon, invitez les personnes qui ne sont pas d’accord à exprimer leur opinion afin de faire avancer la discussion. Efforcez-vous de recueillir toutes les opinions, tout en portant attention aux redondances – il existe plusieurs façons pour les gens d’exprimer leur accord.
Une fois que le premier groupe de spectateurs et spectatrices a changé de place avec le premier groupe de figurant·e·s du tableau, vous pouvez accélérer le rythme de la discussion. Les personnes qui forment le nouveau tableau sont déjà familières avec les questions et ont eu le temps d’y réfléchir. Vous pouvez ainsi, si vous le jugez opportun, passer plus rapidement à l’étape 3, qui apporte un nouvel élément à la discussion.
Légende : Atelier Le grand jeu du pouvoir, animé par Koby Rogers Hall.
Wild Earth Retreat, avril 2012. ( Photo : Matthieu Tallard )
3 – Analyse du pouvoir
Sans modifier la disposition du tableau, posez maintenant aux membres du groupe spectateur une série de questions auxquelles ils peuvent répondre s’ils le désirent :
- Nous sommes à Montréal en 2018 (adapter selon la date et le lieu). Qu’est-ce que ce tableau représente? Laissez les membres en discuter entre eux.
- Nous sommes à Montréal en 2013. Que représente le tableau? Discutez-en.
- Si ce tableau apparaissait dans vos médias sociaux, quel serait votre commentaire? S’il apparaissait à la une d’un journal, quelle en serait la légende?
- Si le tableau représente des groupes de la société, de quels groupes s’agit-il? Quels sont les groupes qui ont le plus de pouvoir et de privilèges? Quels sont ceux qui en ont le moins – les plus marginalisés, ou ceux qui sont opprimés de façon systémique?
Variantes
Si vous manquez de temps, vous pouvez faire uniquement l’étape 1.
Vous pouvez également vous arrêter après les deux premières étapes.
Notez cependant que ces exercices doivent se faire dans l’ordre prévu afin d’accroître les connaissances et les habiletés du groupe. (Par exemple, réaliser l’étape 3 après l’étape 1 n’aurait aucun sens; de même, l’étape 2 en elle-même ne permettrait pas de comprendre la structure du pouvoir si elle n’est pas précédée de l’étape 1.)
Commentaires
Ne prenez pas de pause entre les étapes. Il est important de maintenir le rythme pour favoriser l’apprentissage et la découverte tout au long du processus. Par contre, pour cette même raison, vous pouvez faire des pauses d’une quinzaine de minutes pendant chacune des étapes, afin que les participant·e·s aient le temps de réfléchir, d’observer et d’échanger de nouveaux concepts. Si une personne a besoin de rajuster sa pose au sein du tableau, permettez-lui de le faire, en autant qu’elle demeure fidèle à son intention première; si nécessaire ou si on vous en fait la demande, vous pouvez demander à une personne spectatrice de remplacer quelqu’un dans le tableau. L’essentiel est de maintenir le rythme de l’animation afin de favoriser la concentration et les échanges.
L’étape 3 permet d’insérer le tableau dans un contexte, en fonction du groupe avec lequel vous travaillez. Les questions visent à créer un ancrage géographique (la ville où vous vous trouvez) et chronologique (passé et présent), à confronter les représentations médiatiques et à illustrer la dynamique de pouvoir entre différents groupes dans la société. La quatrième et dernière question peut être spécifique au groupe avec lequel vous travaillez (p. ex. : « Si ce tableau concernait les personnes migrantes et la justice… »), ou avoir une portée plus générale. À vous de juger en fonction du degré de confiance qui s’est établi entre les membres du groupe, et entre ceux-ci et vous-même.
Cette activité comporte à la fois des aspects personnels et impersonnels. Préparez-vous à concilier les besoins individuels, et efforcez-vous en tout temps de renforcer le sentiment de sécurité entre les participant·e·s. Il peut être utile, au début de la journée, de les inviter à faire connaître leurs besoins particuliers, s’il y a lieu (accessibilité, besoin de quitter la pièce, etc.), afin que vous-même et le reste du groupe puissiez en tenir compte tout au long de cet exercice approfondi.
Il est préférable de réaliser cet exercice avec un groupe habitué à travailler ensemble – soit un groupe avec lequel vous avez déjà travaillé pendant un certain temps, ou encore un groupe déjà constitué au sein d’un organisme communautaire où vous êtes invité·e à animer.
Cet exercice s’est révélé profitable dans plusieurs contextes différents – théâtre, milieux communautaires, salles de classe – car il est basé sur la Pédagogie des opprimés de Paolo Freire, qui soutient que nous avons tout ce dont nous avons besoin en tant que membres d’une communauté.
Les connaissances et l’expérience acquises au cours de cet exercice sont inestimables, autant pour l’intervenant·e, qui apprend ainsi à connaître le groupe, que pour les membres du groupe qui vont prendre conscience de l’endroit où il sont rendus dans leur cheminement, tant sur le plan individuel que collectif, et des moyens à prendre pour réaliser un travail collectif socialement engagé. C’est un excellent moyen de relier l’expérience personnelle à l’analyse systémique.
La complexité et la nature sensible des informations partagées requièrent un niveau élevé de confiance, de patience et d’écoute entre les membres du groupe, qu’on atteindra généralement dans la seconde moitié d’une journée de formation (la matinée étant davantage consacrée à des jeux et à des activités visant à briser la glace), ou à mi-parcours d’une série d’ateliers axés sur la création conceptuelle et collective.
Rédaction : Koby Rogers Hall
Source : Version adaptée de l’exercice Pouvoir d’Augusto Boal; expérimenté à titre de participante lors d’un atelier de théâtre forum animé par Jessica Bleuer (Montréal)